De nombreux chauffeurs routiers clandestins sont employés par des sociétés qui ont des camions immatriculés en Europe centrale. En dépit des règles dans l’UE, ils travaillent à longueur d’année, sans repos, et pour un salaire dérisoire.
Chauffeur routier, une vocation pour certains, un gagne-pain pour d’autres. C’est le cas notamment de nombreux immigrés qui conduisent des camions à travers l’Europe, raconte Le Monde. Au mépris de toutes les règles, ils travaillent toute l’année sans considération. Quatre d’entre eux ont accepté de répondre à nos confrères de façon anonyme, trois hommes issus du Kirghizistan et l’autre du Tadjikistan. Ils conduisent tous un camion immatriculé en Lituanie dans des conditions de travail à peine imaginables. En effet, deux de ces chauffeurs sont sur les routes depuis six mois sans interruption et n’ont que le samedi comme repos hebdomadaire. Leur vie se résume à leur camion : «On dort dans notre appartement», sourit l’un d’eux qui gagne 70 euros par jour.
En plus de cela, ils n’ont pas de congés ni d’enveloppe pour «les frais courants» et ils n’ont pas le choix : ils n’ont d’autre choix que de continuer pour survivre ! Comme eux, de nombreux chauffeurs travaillent sur les routes d’Europe pour des sociétés enregistrées en Europe centrale et assurant les liaisons vers l’Europe occidentale. Une exploitation dénoncée par l’association de défense des conducteurs, Transport Due Diligence (RTDD). Son fondateur, Edwin Atema, déplore des conditions qui se sont dégradées en 20 ans. Il y a bien des règles en Europe, mais elles ne sont pas appliquées, fustige-t-il. «Laisser faire ces tricheries généralisées fragilise le marché unique. J’aimerais bien voir la Commission européenne réagir parce que, pour l’instant, l’Europe sociale n’existe que sur le papier», dénonce-t-il auprès du Monde.
Plus d’un tiers des camions immatriculés en Europe centrale
En plus de l’élargissement de l’UE, il y a eu dix ans plus tôt la création du marché unique européen. La concurrence de certains États a été parfois fatale à des PME françaises du secteur. Installée à Bruxelles en 1998, la Fédération nationale des transports routiers a également constaté ce basculement en quelques années : «L’ouverture de l’UE à l’est de l’Europe à partir de 2004 a été un choc pour nous, et le début de la concurrence déloyale. On a perdu 70% du marché international», souligne-t-elle. Selon Le Monde, en 20 ans, le nombre de camions immatriculés en Europe centrale a bondi, passant de 18 à 34%. Et des sociétés ont grossi à vue d’œil dans l’Est de l’Europe, comme en Lituanie, en Hongrie ou en Pologne.
Si dans un premier temps les chauffeurs embauchés étaient originaires d’Ukraine ou de Biélorussie, depuis la guerre, ce sont désormais des immigrés issus d’Inde ou d’Asie centrale qui acceptent de travailler dans ces conditions. En France, les chauffeurs français restent majoritaires, mais dès qu’il faut réaliser des trajets en Europe, ce n’est plus pareil, déplore un patron de PME interrogé par Le Monde qui parle de «concurrence proposant des prix auxquels [il] préfère laisser [ses] camions sur [son] parking». Au cours de leur reportage, les journalistes du Monde ont côtoyé de nombreuses nationalités, mais essentiellement des Ouzbeks, des Tadjiks, des Kirghiz, des Ukrainiens, des Indiens et des Russes. En plus de salaires bas, leurs patrons retiennent très souvent des sommes inexpliquées. Et si l’UE a mis en place un «paquet mobilité» en 2020 (qui prévoit un encadrement des rémunérations et des temps de repos obligatoires), il est, en pratique, peu respecté.