Pour « optimiser vos heures de conduite », les patrons exigent parfois la sélection de la position lit au lieu de carré barré durant les attentes. Outre le fait que ces heures ne seront pas payées et qu’elles engagent votre responsabilité, l’employeur est-il en droit d’exiger ça de vous ?

Bientôt midi. Arthur arrive sur une plate-forme Franprix du nord parisien pour décharger les produits alimentaires secs qu’il a chargés le matin à 7 h dans la région de Lyon. Comme d’habitude, il doit patienter près de deux heures avant de repartir, le temps de récupérer un numéro de quai, d’attendre son tour, de charger éventuellement lui-même et de refermer les portes de sa semi avant de repartir charger ailleurs.

A la demande de l’exploitantSon exploitation lui a fortement suggéré de mettre son tachygraphe sur la position lit au lieu de la position carré barré (mise à disposition).

Même s’il est parfois tentant d’obtempérer pour pouvoir rentrer chez soi, que peut-on penser d’une telle exigence au regard de la jurisprudence ? Ce focus devrait vous donner des arguments à opposer à votre exploitant ou à votre patron en cas de conflit lié à cette question.

En premier ressort, le conducteur est tenu pour responsable de la manipulation du sélecteur, rappelle l’enseignant Marc Bougaut dans une fiche pédagogique qu’il met à disposition des formateurs (1).

Lors des formations obligatoires, que ce soit la Fimo ou la FCO, chaque conducteur routier est alerté implicitement sur l’art. R3315-11 du Code des transports, qui stipule que les mauvaises utilisations du dispositif de commutation sont sanctionnées par une amende prévue pour les contraventions de la 5e classe.

Responsable des enregistrements

En se positionnant sur lit alors qu’il n’est pas en pause, le conducteur est donc en infraction. C’est lui qui est responsable et redevable de la sincérité des enregistrements.

A ce sujet, deux arrêts de la Cour de cassation doivent être relevés. Celui en date du 22/9/2015 n°14-83.202 confirme que les contrôleurs du transport terrestre peuvent vérifier le sélecteur des véhicules à quai. Ils sont habilités à pénétrer dans l’enceinte des entreprises clientes des transporteurs sans recours aux forces de police.

Le second (5/6/2012) a confirmé la condamnation d’un employeur qui exigeait de ses conducteurs de se positionner le sélecteur sur lit durant les traversées en ferry.

Alors que quand ils ne disposent pas de cabine, c’est le carré barré qui est la position admise.

En cas d’accident

Bien entendu, le conducteur peut échapper à la verbalisation pour s’être mis indûment sur repos en faisant valoir les instructions de son entreprise. Mais en cas d’accident, il sait que cette défense serait inopérante.

Sa responsabilité du fait de fausses déclarations sur les temps de repos pourrait être engagée tout autant que celle de l’employeur.

Si l’article L.3315-6 du Code des Transports fait obligation à l’employeur de donner des instructions aux conducteurs pour ce qui concerne la manipulation du chrono, cela ne vaut que pour le respect de la réglementation, et surtout pas pour s’en affranchir.

La manipulation du sélecteur échappe, dans une certaine mesure, au pouvoir de direction de l’employeur. Le chef d’entreprise ne peut émettre la consigne du choix de la position repos qu’avec la certitude que le salarié pourra être effectivement en pause.

Le choix de la position du sélecteur incombe au conducteur. Celui-ci ne doit donc pas obéir à l’instruction de son exploitant, mais agir en fonction de la situation du moment.

Comment l’exploitant pourrait-il savoir à l’avance si son conducteur sera bien libre de ses mouvements ? Par contre, si celui-ci décide de ne pas se plier à l’injonction patronale, il doit pouvoir lui expliquer son choix.

Les ambiguïtés des réglementations

La notion de temps à disposition posée par la directive européenne du 11/3/2002 est difficile à qualifier. Selon Altersecurite.org, la disponibilité serait un temps hybride : ce n’est ni un temps de travail ni un temps de repos… d’où l’utilisation jusqu’en 2015 du carré barré comme interruption de conduite.

Le Code du travail français ne définit pas les temps de disponibilité, mais uniquement le temps de service. L’article L.3121-1 du Code du travail le définit ainsi : « La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».Or cette rédaction n’est pas adaptée à l’activité des conducteurs routiers. En effet, lors des opérations de chargement et de déchargement, ce sont les expéditeurs et les destinataires qui donnent les instructions aux conducteurs(1).

Dès lors, pour déterminer si le conducteur est effectivement libre de son temps, l’absence d’instructions de l’employeur pour les opérations de chargement ou de livraisons importe peu Le chef d’entreprise n’a pas la main sur les opérations.

Les attentes rémunérées ou pas

En marchandise, c’est l’accord du 23/11/1994 qui reconnait expressément les attentes comme du travail par la convention collective du transport… mais uniquement ceux de la catégorie « grands routiers » !Pour les autres catégories, il faut donc se référer à la jurisprudence. Jusqu’en 2017, nous trouvons des arrêts où l’attente n’est pas considérée comme temps de service sans être pour autant interprétée comme une pause.

A sept ans d’écart, la Cour de cassation a pris deux arrêts contraires concernant les temps d’attente. A chaque fois, le conducteur du même employeur doit attendre longuement entre deux chargements avec l’obligation de rester sur place en zone de fret.

L’arrêt du 7/4/2010 n°09-40020 indiquait que le conducteur n’était pas en service durant l’attente alors que celui du 8/2/2017 n°15-11372 considérait au contraire qu’il l’était.

Pour l’avocate Me Gstalder, qui traite souvent de ces sujets, le revirement n’est qu’apparent. Pour qu’en cassation l’attente soit reconnue comme temps de service, il faut simplement que la décision de la cour d’appel démontre que le conducteur était bien à disposition de l’employeur. Ce qui ne peut pas être le cas, en effet, lorsqu’entre deux chargements le conducteur arrive à l’avance au rendez-vous, peut choisir le lieu de stationnement ou s’éloigner de son véhicule.

L’arrêt de 2017 apporte une conclusion désormais communément admise : le temps d’attente durant lesquels le salarié est contraint de rester dans son poids lourd pour le surveiller constitue du temps de travail effectif et doit être rémunéré. l

(1) Marc Bougaut a créé la société Axec, qui assure un service mutualisé de veille réglementaire et pédagogique. Il a par exemple lancé www.guideduchrono.com.

(1) Conformément aux dispositions de l’article R415-6 du Code du travail sur le protocole de sécurité

https://www.routiers.com/pagetype.asp?pagetype=xml&revue=routiers&revue2=routiers&fichier=Position%20lit%20pendant%20l%20attente&numero=1005&annee=2022