Entraide. Fortement sollicités, les transporteurs pâtissent durement du confinement, aussi un couple de Seine-Maritime a décidé de leur proposer douche et plats chauds. Leur établissement fermé, ils cuisinent des plats à emporter pour les chauffeurs… et aussi pour les habitants du village.
Paupiettes de volaille, bavettes ou ailes de raie accompagnées de pommes de terre fraîches. C’est le menu du jour à la Clé des champs. Sur la route principale de Biville-sur-Mer, ce commerce (bar, restaurant, tabac) a décidé de résister au confinement pour une simple et bonne raison : le bien-être des chauffeurs routiers. Bien évidemment, Florence Sauvegrain, la gérante, s’est adaptée aux gestes barrières et règles d’hygiène, mais la pilule ne passe pas. Pour elle, « c’est dégoutant, on ne laisse pas les gens dehors ». Depuis le début du confinement, les routiers souffrent en effet de la fermeture des aires de repos.
« On ne laisse pas les gens dehors »
En plus de leur concocter un bon repas chaud, cette femme leur propose également une douche et bien évidemment l’accès aux sanitaires. « Il y a quinze jours, c’était une femme routière. Elle était désespérée. Elle aurait pleuré. Elle a pris une douche, c’était un soulagement pour elle. » Et de continuer indignée, « j’en ai un, il a fait un détour de 68 km pour venir manger ici. Sinon, ils mangent froid et ils se lavent à la bouteille d’eau. Ils ont les mêmes droits que tout le monde, surtout en ce moment. » En ce moment précisément où sévit la crise sanitaire, les chauffeurs livrent les magasins en denrées de première nécessité. « Ils sont importants mes routiers. » Ce cri du cœur, Florence le pousse en pensant à son mari. Depuis plus de vingt-cinq ans, Julien sillonne les routes à bord de son camion. Elle connaît les besoins de ces travailleurs nomades. « Il y en a un, j’attends son coup de fil. Il amène du fioul à la centrale de Penly. Il vient des Vosges. Je le vois tous les quinze jours. Il devrait arriver aujourd’hui ou demain. »
Intarissable sur ses routiers, Florence Sauvegrain n’en oublie pas le virus. « J’essaie de faire un max pour eux. Je nettoie la douche à l’eau de javel entre deux passages. Je fais au mieux. » Les repas ne sont plus pris dans la salle de restauration, mais mis en barquette. « Ils mangent chaud, se lavent et dorment dans leur cabine avant de reprendre la route. »
Souvent bloqués tout un week-end, les chauffeurs laissent leur remorque à la centrale et installent leur cabine pour les deux jours à côté de la Clé des champs. « J’ai des Hollandais, des Lettoniens, des Grecs, des Écossais… Des fois, ils me laissent un petit cadeau comme une plaque de chocolat ou des citrons de leur jardin. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est plein d’amour. » À côté de son étalage de cigarettes, brosse à dents, dentifrice, gel douche occupent un petit rayon. « C’est pour que les gars ne soient pas embêtés. »
Manger chaud et se laver
Cette entraide, Florence l’applique également aux habitants du village. Depuis le confinement, le chiffre d’affaires a subi « une baisse magistrale » de plus de 70 %. Elle a donc diversifié son activité. Elle a généralisé la vente à emporter de ses plats et a monté une mini-épicerie de dépannage. « Beaucoup de gens habitent au camping et n’ont pas de moyen de locomotion. C’est pareil pour les personnes âgées. Et puis, il n’y a pas beaucoup de bus. Donc dépanner d’un paquet de farine ou d’une plaquette de beurre, ça aide toujours. »
Avec son mari, elle a décidé de faciliter le travail des producteurs locaux, notamment un volailler et un maraîcher. « Les gens passent commande aux producteurs. Deux ou trois fois par semaine, je vais les chercher et je les ramène ici. Ça évite aux gens de trop se déplacer. » Plus chanceux que dans certains commerces, Florence détient des masques. « C’est le club de lecture et de loisirs qui les coud et les dépose au tabac. »
Même si tout le monde attend avec impatience le déconfinement, la principale préoccupation du moment pour le couple, c’est de faire savoir aux routiers que chez eux, ils peuvent se laver et manger chaud… à emporter.