Temps de repos, nombre de chargements, circulation le week-end, limitation de vitesse… Ces véhicules de moins de 3,5 tonnes sont la parade idéale à la réglementation transport routier.
Sur les grands axes routiers gratuits, les aires de repos ou les parkings, vous en avez forcément croisé sans leur prêter attention. Des camionnettes bâchées, grosses comme des camping-cars, immatriculées en Pologne, Lituanie, Roumanie ou Bulgarie. Depuis quatre ou cinq ans, leur nombre a explosé. À leur volant, des chauffeurs originaires des pays de l’est, sous-payés et corvéables à merci.
« Le phénomène s’amplifie, on en voit de plus en plus », constate Éric Petras, responsable des contrôles à la Dreal d’Ille-et-Vilaine, l’organisme chargé de veiller au respect de la réglementation sur le transport routier. Mais ces véhicules légers lui donnent du fil à retordre. « En dessous de 3,5 tonnes, ils ne sont pas soumis aux mêmes règles que les poids lourds. Ils n’ont pas de chronotachygraphe, par exemple, le mouchard qui permet de vérifier les temps de conduite et de repos. Ils ne sont pas, non plus, tenus de rester en dessous des 90 km/h. Et comme ils font moins de 7,5 tonnes, ils ont le droit de rouler le week-end quand les autres restent sur les parkings. »
Au final, il est quasiment impossible de vérifier l’activité réelle de ces milliers de camionnettes réputées pour être les championnes du « cabotage » illégal. « Normalement, les chauffeurs ont droit à trois opérations de chargement/déchargement par semaine et doivent ensuite repartir chez eux, explique Éric Petras. En fait, ils restent en France et continuent à travailler. Et s’ils ne nous donnent pas tous les documents de transport, on est dans l’impossibilité d’établir l’infraction. »
Au mieux, les autorités arrivent à sanctionner ceux qui sont en surcharge, « ce qui est souvent le cas », précise la Dreal. Les bâches leur permettent pourtant d’économiser du poids et de passer de 600 kg à près d’une tonne de capacité de chargement.
20 % à 40 % moins chers
« Ils font ce qu’ils veulent, c’est une honte ! » s’étrangle Yann Guisnel, patron des transports Guisnel, à Dol-de-Bretagne, en Ille-et-Vilaine (1 100 salariés, 870 camions), qui dénonce comme tant d’autres une « concurrence déloyale » : « C’est le cancer de la profession. Il y a quelques années, j’ai perdu un énorme contrat de plusieurs millions en région parisienne. Je me suis fait piquer le marché par des gens qui travaillent en 3,5 tonnes. »
Plus petits, plus rapides, ces véhicules ont l’avantage d’être plus réactifs. « Plutôt que d’affréter un poids lourd, certains intermédiaires préfèrent charger deux ou trois véhicules légers », poursuit Yann Guisnel. Ils sont surtout moins chers. « Ces camionnettes de l’Est prennent le boulot des autres transporteurs avec des tarifs 20 % à 40 % inférieurs aux nôtres », s’indigne Bruno Théaud, coprésident de l’OTRE Bretagne, le syndicat des TPE et PME du transport routier.
Le sujet divise l’Est et l’Ouest de l’Europe. Faute d’accord, le transport routier a d’ailleurs été exclu, cet automne, de la nouvelle directive sur les travailleurs détachés. Les négociations ont été renvoyées à plus tard, dans le cadre du « paquet mobilité » de la Commission européenne. En attendant, des règles vieilles de plus de 20 ans s’appliquent toujours. Et les camionnettes continuent de rouler.
Que risquent les chauffeurs ?
« Pour un cabotage illégal, on immobilise le véhicule et il peut y avoir une consignation (avance sur l’amende pénale) de 1 500 € que le chauffeur doit payer sur le champ », explique-t-on à la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement). « Dans la pratique, c’est le donneur d’ordre qui paie pour lui. Ce n’est pas le client final qui est responsable mais l’affréteur. » Les camionnettes de moins de 3,5 tonnes représentent environ 30 % des contraventions dressés l’an dernier pour cabotage illégal.
Pas que les pays de l’Est
Quel affréteur passe commande et quelle société exécute ? Pas toujours ceux que l’on croit. « Ceux qui affrètent les camionnettes sont aussi Belges, Hollandais ou Français : certains ouvrent des antennes en Pologne, en Roumanie ou en Lituanie pour profiter des salaires des pays de l’est », explique Bruno Théaud, coprésident de l’OTRE (Organisation des Transporteurs Routiers Européens) Bretagne.Même écho à la Dreal : « On voit d’ailleurs des entreprises qui ont toute leur activité en France, mais aucun établissement sur le territoire, ce qui est une fraude », explique Eric Petras. Pour Yann Guisnel, patron des transports Guisnel, beaucoup de transporteurs français utilisent eux aussi ces véhicules de moins de 3,5 tonnes « mais au niveau régional, pas sur de longues distances, ce qui se voit moins ». Ceux-là ne restent pas sur les parkings.
Que faire ?
Au siège de l’OTRE (Organisation des transporteurs routiers européens), à Bordeaux, on avance une idée : « Installer dans ces camions étrangers des chronotachygraphes de dernière génération, équipés d’une puce GPS. C’est le seul moyen de savoir combien ils sont, où ils sont et ce qu’ils font. »
Et pour lutter contre la concurrence déloyale, « il faudrait instaurer une vignette dès que ces camionnettes entrent en France, suggère Bruno Théaud, de l’OTRE Bretagne. Le prix serait payé en fonction du temps passé sur le territoire ou du kilométrage. »