La plaie du transport routier, c’est la fraude
Une grève des chauffeurs routiers se développe ces jours-ci. Mais derrière le bras de fer entre salariés et patrons, il y a une crise profonde, due aux pratiques de fraude encouragées par la libéralisation du secteur.
Le transport routier de marchandises (TRM) domine le transport de fret, avec 88 % de parts de marché. L’essentiel du trafic se fait sur plus de 150 km et est assuré par 37.200 entreprises, dont 80 % compte moins de dix salariés. La plupart ne disposent que d’un seul ensemble routier et leur clientèle locale n’assure pas le plein emploi de leur parc : elles dépendent donc, pour leur fret de retour, des chargeurs (gros transporteurs) ayant un accès direct au marché.
Une sous-traitance intensive
Les grandes entreprises sous-traitent plus de 43 % des trajets. Elles répercutent sur les entreprises artisanales affrétées les remises qu’elles ont consenties pour emporter le marché. La sous-traitance concerne les trafics les moins rémunérateurs, amputés de près de 15 % de commission.
Certains de ces trafics ne peuvent être rentabilisés en respectant les règles normales : « le donneur d’ordre sous-traite ainsi la fraude que cette rentabilisation implique », affirme le rapport de Claude Abraham remis en juin 2010.
La fraude, une pratique courante…
La fraude gangrène le TRM : excès de vitesse, surcharges, dépassement des temps de conduite journaliers et hebdomadaires par fausse attestation de repos ou chronotachygraphe bricolé, fraude sur les péages autoroutiers (échange de tickets de péage entre deux conducteurs routiers circulant en sens opposés. L’échange est effectué hors de l’autoroute, au voisinage d’un échangeur. Seul un contrôle approfondi des documents de transport du véhicule permet de déceler la fraude),…
– En 2007, le Conseil National des Transports estimait, après des contrôles approfondis, que 40 % des chauffeurs routiers dépassaient le temps réglementaire de travail.
– Un contrôle a été mené par 13 pays européens et la Suisse en septembre 2007. Près d’un tiers des 1787 camions contrôlés en Suisse étaient en infraction. Le 16 décembre 2013, en Gironde, 30 % des 140 camions contrôlés étaient en infraction.
– L’interception à un péage de Toulouse d’un chauffeur roumain qui conduisait un camion espagnol pour une entreprise française a révélé 43 fraudes du 12 au 16 septembre 2013 !
Le risque pris par les conducteurs routiers pour tenir les conditions exigées par les chargeurs affecte aussi la sécurité. Selon l’Observatoire Social des Transports, les conducteurs, des professionnels, tuent autant au km parcouru que les automobilistes.
Les économies liées à la fraude sont considérables. Une surcharge de 20 % permet d’économiser 21 % du chiffre d’affaires, le dépassement des durées légales de conduite journalière et hebdomadaire respectivement 8% et 10 %, la neutralisation du chrono-tachygraphe 15 %.
Ces infractions sont habituelles pour une partie de la profession, facilitées par le fait que certaines entreprises ne sont contrôlées que tous les six ans. Le tribunal de Montpellier a condamné le 24 avril 2011 une entreprise pour 400 infractions aux temps de conduite sur une durée de 3 ans ! 57 % des procès-verbaux ne sont suivis d’aucune poursuite et le niveau des pénalités est généralement très inférieur au maximum prévu.
17 mars 2015 / André Laumin
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